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Montebourg et son OS franco-français

On peut lire un peu partout dans la presse ce matin cette nouvelle pour le moins fracassante (au moins dans mon domaine d'expertise) : Arnaud Montebourg souhaiterait le développement d'un OS mobile français.

On peut lire un peu plus loin : Arnaud Montebourg pourrait prochainement annoncer la mise en chantier d'un OS mobile "made in France".

Il y a tellement de choses stupides et incongrues dans cette phrase que je ne sais même pas par où commencer.

Allons, allons, ressaisissons nous. Ça va passer. C'est dur - très - mais ça va passer. Forcément.

Bon, commençons par le plus simple. Après la déculottée monumentale de la semaine dernière (aux élections européennes) on annonce encore des choses franco-françaises. Surtout de cette envergure là... Belle leçon qui montre une chose du bon Montebourg : Cet homme-là n'est pas européen pour un sou. La déculottée était bien méritée. Il est au niveau de Marine Le Pen quand à son niveau d'adhésion à l’Europe. Quelle déception. Je n'en attendais pas mieux, et c'est bien triste.

Ensuite... Un OS mobile ? Vraiment ? Un truc de haute technologie, un truc énorme, bref, tout ce que le gouvernement Français a démontré année après année qu'il était foncièrement incapable de produire ? Vraiment ? Juste nous, les Français ? Allons, allons. Même en admettant qu'on en ai toutes les ressources requises (vision, marketing, commercial, technique, financement, etc...), est-ce qu'il n'y aurait pas, en France, des choses bien plus importantes à faire qu'un OS mobile ?

Est-ce que simplement, si on arrêtait de taxer les start-up à des taux qui découragent juste les entrepreneurs de s'y lancer, n'aurait-on pas eu déjà depuis un moment des initiatives spontanées dans ce domaine ? Si la montagne de papier requise pour tenir une boite de 5 personnes à flot n'occupait pas une personne à mi-temps (soit 10% de l'effectif) est-ce qu'on aurait pas plus de start-up ? Si, à côté du chômage rampant, on avait poussé le développement de la filière informatique (vous savez, celle-là même où on manque de main d'oeuvre et où l'avenir du numérique se joue) dans tout le cursus scolaire, est-ce qu'on ne serait pas mieux placé pour lutter dans ce domaine ? Avec tout ça, est-ce qu'on aurait autant d'expatriés qui vont chercher le pognon et les opportunités là où ils sont, c'est-à-dire loin de chez nous ?

Diantre. Le mot tabou est sorti. "Pognon." Il est dit, je ne puis plus rien y faire. Je suis damné pour l'éternité. Car oui, moi aussi, j'ai besoin d'argent pour vivre. Et si l'argent ne fait pas le bonheur, je peux vous dire qu'il en est un grand facilitateur. Mince. C'est perdu pour moi. Mon âme est décidément vendue au diable. Mais bref, passons.

Mais...

Suis-je bête, j'en oublie l'essentiel! M. Montebourg est ministre du Numérique (notamment). C'est donc son rôle de mettre ses petits doigts potelés là dedans. Aucun problème avec le fait que M. Montebourg n'a pas la moindre idée de ce qu'est un ordinateur, un réseau ou le cloud. Je suis même certain qu'il serait bien incapable de donner la différence entre une donnée numérique et une donnée analogique. Sans sa horde de conseillers bien évidemment. Non, vraiment, mettre des gens incompétents à des postes qui les dépassent est devenu un sport national en France.

Pour rappel, Montebourg est l'homme qui prétend que Free mobile nuit à l'emploi en France. Oui, pour de vrai, il nous rabat les oreilles avec ça depuis des mois. Le fait que Free a démontré qu'il était viable de vendre un forfait tout illimité à 30€ par mois à la place des 60-70€ auxquels ils étaient vendus avant... et bien... et bien ça veut dire que Free fait du mal à la France! Na! Comme ça! On imagine bien que dévoiler un tel complot était diabolique de la part de Xavier Niel, qui a osé - imaginez bien l'horreur - traiter les clients de ces autres opérateurs de pigeons. Allons, allons, M. Niel, ressaisissez-vous enfin. Le fait que tous les Français aient été traités comme des vaches à lait pendant toutes ces années, c'était évidemment Le Bien (TM).

Mais revenons à notre OS mobile français. Une chose me gène encore dans la formulation. Lisez avec attention : "mise en chantier d'un OS mobile". Hooouuuu, j'en ai des frissons dans le dos. La "mise en chantier" ? Tout cela me rappelle avec une terreur non dissimulée les bons vieux chantiers pharaoniques qu'on laisse en plan au milieu (et avec 300% du budget initial déjà cramé.) Le genre de projet où on va prendre 4 boites de prestataires différentes, en déverser quelques centaines dans un bâtiment fraîchement repeint, avec toute la clique de chefs de projet, scrum masters, team lead, AMOA, directeurs de division, et tout le toutim. Tout cela sous la direction émérite du gouvernement, qui ne pourra bien entendu s'empêcher de micro-manager le projet jusqu'à sa mort terminale et définitive. Le blâme retombera sur les innocents, ceux qui ont fait comme on leur a dit et qui n'ont pas été foutu d'ouvrir leur gueule devant l'étendue de la stupidité de ce qui leur était demandé, tant il n'y avait pas de façon politiquement correcte de dire à leur interlocuteur qu'il demandait de la peinture rouge qui peint en bleu...

Bref, je m'égare. Oui M. Montebourg, la France n'est pas de taille à lutter contre Google. En tout cas, pas sur son terrain. Oui, un état souverain d'une puissance ... heu... énorme, n'est pas de taille à lutter contre une multinationale comme Google. Pas au pied levé, pas sur un coup de tête. Voyez-vous, M. Montebourg, c'est que chez Google, ça fait plus d'une dizaine d'années qu'ils ont une vision. Google, aujourd'hui c'est environ 50 000 employés. Alors oui, chez nous on peut aligner facilement autant de personnes dans tous les métiers de l'informatique. Mais non, on n'est pas de taille quand-même. Parce que dans les 50 000 personnes que la France pourrait aligner, peut-être 100 ou 200 seulement pourraient aller travailler chez Google. Car Google n'embauche que les meilleurs. Ils ont cette certitude - partagée par beaucoup dans l'informatique - que un très bon en vaut deux bons et quatre moyens et huit mauvais. Ils ont la certitude qu'un bug où qu'une mauvaise architecture, API, peut coûter très très cher, et donc font tout pour en avoir le moins possible. Et pourquoi ça monsieur Montebourg ? Parce qu’après tout, si vous voulez allez dans cette direction, poursuivre ce but, il serait ma foi fort utile de comprendre comment ceux qui y sont déjà ont fait pour y parvenir, vous ne croyez pas ?

La raison de la stratégie de recrutement de Google est bien simple. Et ne voyez pas de ma part une fixation sur Google. Tous les grands de l'informatique ont une approche similaire, même si Google la pousse un peu plus loin que ses concurrents. C'est qu'en informatique on a une spécificité bien précise : une bonne partie de ce que l'on écrit - le code - a tendance avec le temps a 1. changer de fonction et 2. à devenir critique car utilisé par des dizaines, centaines, milliers d'autres programmes. Ces deux spécificités combinées font que tout code mal écrit ou mal pensé ou mal architecturé coûte cher, très cher. Et plus on s'en aperçoit tard, plus cela coûte cher. Car les systèmes que l'on construit sont immenses, gigantesques, ils ne sont plus à taille humaine. Combiné à une extrême complexité - fonctionnelle et technique - cela en fait de jolies bombes à retardement.

Non, Arnaud, non. Faire un OS Franco-Français est d'une stupidité sans nom, d'autant l'OS de Google est open source. Open source, cela veut dire que tu peux le prendre et le foutre dans ton téléphone sans demander rien à personne. Tu peux aussi le prendre, le modifier à ton goût, le vendre, bref, en faire ce que tu en veux. Pourquoi réinventer la roue dans ce cas ?

Tiens, bonne idée, parlons de tes motivations. Je ne parle pas des motivations de faire la une de la presse, non, celles-là on les connaît. Je parle bien des motivations pour annoncer une ânerie de ce calibre.

Je suppose qu'il y a le manque de transparence, la NSA, l'espionnage et tout le bazar. Mais la France s'en balance de ces conneries. Ou plutôt non, elle a ça bien à cœur, mais entre un téléphone aux mains de la NSA et un aux mains de la DST, je pense que les Français s'en balancent.

Alors non, Arnaud, non, s'il te plaît, je t'en supplie, oublie cette idée qui va coûter des centaines de millions d'euros à la France pour soit capoter soit - si des fois le projet aboutissait - n'apporter rien de significatif à personne.

Tu veux que la France soit compétitive dans le numérique ? Alors là, on ne manque pas de pistes...

En premier lieu, sois le gardien de la neutralité du net. Cette chose un peu confuse qui garantit que tout le monde aura le même accès à internet. Tu pourras la défendre jusqu'à ton dernier souffle si on doit en arriver là, car rien ne garantira un ralentissement de l'innovation dans le numérique aussi dur que d'avoir un internet à plusieurs vitesses.

Lis un peu les livres de Philippe Aigrin sur le partage de l'information dans le monde numérique. Oui, c'est ça, le piratage. Toutes ces choses qui partent du principe erroné que les droits d'auteurs (copyright) peuvent s'appliquer sur internet de la même façon que dans le monde physique. Non, le monde numérique est bien différent du monde physique, et toutes les poussées législatives (DADVSI, HADOPI, ...) pour essayer d'enrayer l'essor numérique et bien... ne font que ça : enrayer l'essor du numérique en France. Sans avoir d'impact sur le piratage. Peut-être est-il temps de se poser et de prendre un peu de recul ?

Aide les entreprises. Et pas en les subventionnant avec l'argent que tu leur a pris précédemment, en enlevant les 50% de frais de fonctionnements étatiques derrière. Ce sont elles qui feront de la France une puissance technologique si elle doit en être une, pas l'état par le truchement d'un énième fiasco nationalisé. Si en plus l'état peut faire l'économie de quelques centaines de millions d'euros, super. C'est ce qu'on appelle du Win-Win, tout le monde y gagne. Ce que tu proposes est du Lose-Lose, tout le monde y perd. Les entreprises sont encore étouffées par une chape de plomb, mêlée de taxes, d'un labyrinthe législatif et d'une montagne d'obligations administratives. L'OS mobile ne viendra pas, porté par un projet étatique voué à l'échec au pire ou à l'insignifiance au mieux.

Alors par pitié, arrête de surfer sur les buzzwords du jour pour te faire mousser. Car pour tout rigolo que ton acte de Guignol puisse être, c'est bien nous, les citoyens qui en paieront la double facture : un peu plus de ridicule pour l'état Français, censé nous représenter, et un peu de taxes en plus pour payer ce joli fiasco. Et le suivant.

HADOPI - non ce n'est pas mort: ça bouge encore!

Apparemment, la HADOPI n'est pas encore tout à fait morte. La preuve, ça bouge encore. On peut le lire ce matin un peu partout dans la presse, et notamment, sur le site du monde

On peut y lire notamment:

Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la commission de la protection des droits de la Hadopi, doit remettre lundi 12 mai à la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, un rapport destiné à élaborer des « outils opérationnels » dans « la prévention et la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne ».

Donc c'est bien avéré: la France balance encore du pognon à grande pelletée dans la HADOPI, ca machin bizarre dont le seul but semble d'être la facilitation du piratage sur internet. D'ailleurs, une fois encore, ça ne coupe pas. Le fameux rapport propose quatre "machins" pour enrayer le méchant piratage dans notre belle contrée.

« assécher les ressources financières » des sites illégaux
Hmmm. Pour une fois, ça n'est pas complètement stupide, ça permettra au moins que plus personne ne fasse d'argent en proposant des oeuvres à pirater. Evidemment, ça ne changera pas le piratage, dans la mesure où ce sera franco-français (il suffira donc de se faire héberger à l'étranger pour contourner) et de toute façon, une grande partie du piratage se fait déjà de façon décentralisée. Cela permettra donc, encore une fois, de ne plus pouvoir mesurer ni évaluer le piratage une fois que tout sera décentralisé. Bien.

mise en place une approche mêlant « l'autorégulation » et « le droit souple »
Alors là... Je ne peux me prononcer. Qu'est-ce que ça peut bien être... Pour être clément, je dirai juste que cela ne fera donc rien.

établir une liste publique des sites qui « portent massivement atteinte au droit d'auteur »
Etablir une annuaire des sites pirate semble être l'outil rêvé... des gens à la recherche des oeuvres illicites. Ca y est, la HADOPI est passé du côté sombre.

la création d'une injonction de retrait prolongé
Mon dieu, mon dieu, mon dieu... Comment en est-on arrivé là? En même temps, en confiant à des gens ignares et incultes la responsabilité d'une tâche éminemment liée à la distribution de biens culturels (à laquelle ils ne comprennent rien) et aux technologies de l'information (dont ils ne comprennent même pas les pricipes fondamentaux), à quoi pouvait-on s'attendre?

En résumé: La HADOPI consomme encore l'argent public. Le résultat est toujours aussi atterrant. Quel gâchis.