Paris sur la guerilla urbaine
C’est mon quotidien lorsque je marche de ma station de RER jusqu’à mon bureau: je marche dans Paris.
Mon quotidien est donc de naviguer dans la capitale deux fois par jour. En tant que piéton. Et là, rien d’autre à faire que de regarder ce qui se passe autour de soi. Et il vaut mieux! Car naviguer dans la capitale se fait souvent au péril de sa vie.
Il ne se passe donc pas un matin sans que je ne voie sous mes yeux diverses entorses au code de la route. Vous savez, ce fameux livre qui décrit comment les différents pilotes des engins qui sillonnent nos routes sont régis. Enfin, ailleurs, car force est de constater que dans la capitale, le code de la route n’a plus cours.
Les feux rouges sont juste une indication qu’il faudrait ralentir. Les sens interdits ne sont que des vagues signes de danger. Les passages piétons une incitation à klaxonner. Les priorités à droite une excuse pour râler. En ce sens, chacun des principes du code de la route existe bel et bien dans Paris, mais leur significations sur le bitume de Paname est bien différente.
Il n’est donc pas rare de voir un automobiliste sortir en trombe de son véhicule, interrompant son coup de fil, pour attraper un piéton ou un cycliste afin de le menacer - sans l’ombre d’un doute - de lui casser la gueule. Ce qu’à fait l’impétrant pour mériter tel traitement? Trois fois rien. Avoir un peu trop traîné et avoir fait rater au propriétaire du moteur enragé le feu vert mérité est bien suffisant.
Et les vélos! Eh bien ils se considèrent comme piétons quand cela les arrange, voitures dans d’autres circonstances. Leur cri de ralliement? Le drring maléfique qui fait sursauter le piéton récemment engagé sur le passage qui porte son nom. “Mais... mais j’avais le feu vert” se dit le pauvre bipède. Le vélo passe alors, sans un regard, sans un signe et pour cause: il est en train de rédiger un sms. Il est vrai que conduire un bicycle dans ces conditions est - avouons-le - quelque peu périlleux.
Le scooter, lui, est bien plus rapide. Il ne peut se faire prendre à ce petit jeu. Rien n’est impossible à son véhicule qui semble bien pouvoir s’engouffrer à tombeaux ouverts dans n’importe quel interstice de la capitale. Seul un trottoir bien empli de piétons le fait parfois reculer. Mais, tel un Bruce Bannner courroucé, le petit être motorisé fait savoir bruyamment à qui se promène alentour son état fort agacé. Pour bien le faire remarquer, il n’hésitera pas à faire une queue de poisson suivie d’un pilage en règle devant le véhicule à quatre roues qui ne l’aura pas laissé passer avec assez d’ardeur. Et le véhicule en question sera content si il s'en tire avec aucun rétroviseur retourné.
Ceci sera suivi d'une ascension d'un quelconque trottoir pas trop rempli, puis d'une accélération rageuse. Si une mamie vient par là, elle n’a qu’à bien se tenir. J’en ai vu vaciller de mes yeux. Je n’exagère rien.
Les camions et autres outils de livraison ne sont pas en reste. Un arrêt pour poser un paquet, livrer un café ne saurait être délayé. Une seconde de perdue semble être un affront qui ne peut être lavé. Il ne saurait donc être question de s’en encombrer. On se garera devant une entrée de parking d'un immeuble, alors même que le trottoir est libre sur les 150 mètres qui suivent. Et quand un automobiliste veut entrer chez lui, on l’enverra se faire voir d’un geste qui serait un bras d’honneur si seulement le bras qui tenait le colis était libre. La livraison n’attend pas.
On se garera aussi devant les pompiers - au grand dam du pompier de garde qui sera obligé de menacer le livreur de pousser son camion avec la grande échelle. Sous la menace, enfin, avec moult grognements, le livreur remonte dans son camion et avance de quelques mètres. Au milieu de la rue en sens unique. Paris peut brûler. Il s’en tamponne. En même temps, la rue à une voie possède des barrières métalliques de chaque côté. Ou pourrait-il bien se mettre pour livrer? La seule chose qui est certaine là dedans, c’est que les pompiers ne passeront pas.
Bon. Tout cela n’est pas bien brillant. Mais que fait la police? En l’occurrence, la police municipale.
En premier lieu, on peut dire qu’on ne la voit pas souvent. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Croiser la maréchaussée lors de mon périple quotidien est une découverte rare.
Mais on la voit. Parfois roulante, parfois marchante, elle n’a cure de ce qui se passe que ce soit sur le trottoir ou sur la chaussée. L’incurie de cette faune urbaine les laisse indifférents. Occupés à de plus hauts desseins, peu importe les petites gens. On peut imaginer que si un cycliste et un piéton se tabassaient ils interviendraient. Mais je n’ai jamais pu voir des policiers et des bagarres en même temps. En effet ces dernières, tout en étant moins rares que les apparitions sporadiques de la force publique, restent néanmoins peu courantes.
Par contre, un domaine les intéresse au plus haut point. Les seuls véhicules ne posant aucun danger: les voitures garées. Là, alors là, ils redoublent de vigilance. Le salopard qui aura oublié de payer son parcmètre sera dûment verbalisé. Pendant que 4 scooters, 7 vélos, 3 voitures et 2 camions jouent au far West dans la même rue. Las.
On pourrait croire qu’il en est de même dans la périphérie de notre belle capitale, mais non. L’exception parisienne est bien isolée. De l’autre côté du périphérique, téléphoner au volant est passible d’une amende immédiate et du retrait des points. Marcher sur le trottoir son vélo à la main est passible de 90€ d’amende. Sans pouvoir discuter. Griller un stop nous amène humblement à nous expliquer devant deux policiers. Avant de payer puis perdre des points. Les policiers sont là. Ici, cachés derrière un bosquet ils attendent les véhicules qui dépassent les 50km/h dans cette fameuse boucle. Là, discrets dans une petite ruelle, ils attendent celui qui tournera à gauche, bravant l'interdiction. Ils font régner l’ordre.
La situation parisienne est donc bien une exception exclusive. En cela la capitale se dégage du lot. On aurait aimé qu’il en soit autrement. Mais las, le combiné préfecture de police et mairie ne l'entend pas de cette oreille. De policiers, on ne mettra plus. Ce serait du gâchis. Les fonctions régaliennes de l'état sont surfaites de toute façon.
Par contre, on va rajouter tout un tas de bordel afin de remuer cette soupe et d’y ajouter une bonne dose d’épice. Fermer Paris un dimanche aux voitures? Mais bien entendu. Diviser par deux les voies de circulation sur les quais? C’est évident. Après tout, une fois que Paris sera piéton, le problème sera définitivement poussé sur la petite couronne.
En attendant, Paris n’est pas piéton. Le problème des transports empire mois après mois. Et tous ces voyageurs du quotidien s’énervent un peu plus à chaque nouvelle avancée verte.
Tout cela va mal finir.
Est-ce le but des dirigeants de la capitale? De faire en sorte de déclencher une guérilla urbaine entre les automobilistes et les autres? Afin de pouvoir enfin justifier le fait que que les voitures sont la source de tout mal et utiliser ce fait comme une excuse pour les bouter hors de Paris?
Je n’ose le penser.
Allons.
Restons sérieux.